C'est en tant que dessinateur que je souhaiterais parler du dessin, et ce qu'est pour moi le travail du dessin: action vivante dans le montage et relation immédiate avec le blanc du papier. Je tenterais de faire cela via des moments décisifs de mon travail et en faisant des aller- retour entre la nature spécifique de mon travail et le parcours de mes pensées.


Il y a quelques années, j’ai trouvé une manière de fondre mes dessins dans une structure de données ; pas celles basées sur l'observation, qui peuvent rendre une représentation de quelque chose, ni de données qui pourraient me mettre en exergue de mon travail et faire de moi une sorte de décisionnaire. Ce n’est pas une fenêtre vers le monde en dehors du papier, mais une fenêtre à l’intérieur du papier.


Assis sur le papier, je dessine, de gauche à droite, de haut en bas, de larges bandes de couleurs. Zigzagant en de nombreux petits mouvements répétitifs et incertains avec le stylo je tisse la couleur, jusqu’au moment exact où un changement de couleur et de stylo est nécessaire. L’important, ce n’est plus une question pour le dessin d’avoir ses propres formes et leurs organisations cohérentes, mais de trouver ses plaisirs dans une lente évolution. Là, je fonctionne seulement comme un médiateur entre le papier et le dessin. Sous le stylo, je m’oublie et suis absorbé dans ce jeu de regards.


Je trouve toujours un plaisir enfantin à être pris dans le tourbillon des événements. Je bouge dans un très lent mouvement différé à travers l’espace du papier. Chaque ombre projetée par ma main, chaque point, chaque rebord, chaque couleur a un potentiel en devenir. Le regard, le dessin et moi ; comme si nous convergions ensemble.


Je ressens un immense plaisir dans ce regard.


    J’aimerais maintenant parler de l’action du regard et de ses rythmes.  A propos du regard qui donne plaisir sans raisons spécifiques et acère les autres sens. Un intense parcours de regards joueurs, dans lesquels tout bouge dans ma direction et repart en sens inverse, tout cela dans le même temps. Cela permet aux composantes d’apparaître et de disparaître, rien n’est présent, et rien n’est absent. Regarder, comme un enfant le fait, avec un intérêt urgent pour tout. Du bleu à côté du vert, rapidement. Lentement. Couper, coller, rouge sur bleu, blanc.


Cet ordre de couleurs, formes et lignes ne font pas du dessin une composante de ma position, mais une partie de mon regard, m’intéresse. Il n’est pas en moi, il prend place sur le papier. Il partage son apparition uniquement avec moi.


    Ensuite, je souhaiterais placer ceci à l’encontre des possibilités de la céramique, sa lenteur, son incapacité à être directement visible, et par-dessus toute sa plasticité. Connaître la forme au lieu de la voir, la nature fermée de ces bordures. Là où le dessin ouvre par-dessus tout l’espace et ne prend pas possession dans celui-ci. La forme plastique modèle l’espace. Cependant, il permet par ce dernier une différence plus claire entre le blanc et le non-blanc, entre le temps et l’espace. Il dit lui-même où il est et n’essaie pas de me faire prendre position dans le travail. Il est finalement accessible, depuis n’importe quel angle.


Il accepte l’entièreté du rythme survenant. Il est lent et je peux le confronter avec mon regard; Je peux le travailler, le colorer, l’arranger, le retravailler, le recolorer et le réarranger. Le cuire et le recuire. Tout cela avec la même importance, exacte. Sans jérémiade à propos d’où et vers quoi aller, mais intrinsèquement. Il doit être pur et prêt, ouvert à tous, non conforme, sans m'appartenir.


Après autant de répétitions du même genre de travail, après avoir recherché encore et encore les formes et les couleurs, une répétition, je ne pouvais pas imaginer ce que je souhaitais en tirer. Les essais en céramique pour atteindre la clarté restaient infiniment à l’état de brouillon. Les contradictions entre le travail et l’espace vide environnant étaient simplement trop grandes. Je ne pouvais pas lui donner une proportion. Il était parfois trop ouvert et l’instant d’après trop fermé. Cela m’a pris beaucoup d’essais, de pratique, pour finalement trouver que le temps entre chaque action de travail pouvait être la manière d’arranger ces problèmes. C’est une question de comptage, parfois de secondes, parfois de jours, et d’autres fois de quantités. Pour finalement écrire une sorte de partition.


    Ici, il y a des trous répétitifs dans ce travail. Chaque forme clôt un certain espace autour duquel je suis en train de travailler. Je mets un certain temps autour de cet espace, un moment pour surgir. Avec redondance. Lors de ces moments de surgissement, apparaît un rythme qui est en fait le mien, que je dirige avec beaucoup de précaution. Il n’a pas seulement besoin de mon regard mais aussi de ma présence.


Il est ajusté parfaitement à mon temps et mon espace. La fin du travail est donnée par la tâche claire qu’à un certain point une fin arrive. Il accepte mes erreurs, et ne les condamne pas. Le travail se meut dans l’espace sans d’autre relation que le temps. Le travail se meut dans le temps sans autre relation que l’espace. Pourquoi ce rythme, chaque rythme, s’entoure toujours dans un temps extrêmement spécifique ? Le rythme arrive et vit dans un certain temps et dans une certaine durée. Il n’est pas possible de l’accélérer, ni de le ralentir. Le rythme détermine le travail.


    Je recherche comment le temps peut s’enrouler dans un certain rythme.


Tommy


Vissenberg